Le Nigéria face au spectre du coup d'État : un politologue propose des mesures pour préserver la démocratie

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Les pays africains ont connu neuf coups d'État militaires réussis depuis 2020. En Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale, il y a eu au moins 10 tentatives de coup d'État au cours de la même période. Celles du Niger, du Mali, du Burkina Faso, du Gabon et de la Guinée ont été couronnées de succès. Plusieurs facteurs sociaux, économiques et politiques sont considérés comme étant à l'origine de la rupture de la démocratie dans ces pays. Dans cette interview, The Conversation Africa interroge le politologue Abdul-Wasi Babatunde Moshood, qui a récemment publié une étude sur la prévention des coups d'État militaires au Nigeria. Il revient sur les facteurs qui les déclenchent, notamment au Nigeria et sur les mesures à prendre pour protéger la démocratie. Quels sont les facteurs qui ont déclenché les récents coups d'État en Afrique ?L'une des principales raisons est la manière dont certains dirigeants ont détourné l'idéal démocratique à leur profit économique. Ce qui a conduit à une corruption généralisée, creusant davantage l'écart entre les riches et les pauvres. Alors que la démocratie libérale ouvre la voie à des opportunités dans les pays développés, c'est l'inverse qui se produit au Nigeria, en raison principalement de la corruption et d'une absence de leadership efficace. Par ailleurs, la démocratie dans certaines régions d'Afrique dont le Nigeria, n'a pas été en mesure de faire progresser le développement et d'avoir un impact positif sur la population. Pour protéger la démocratie de toute intervention militaire, elle doit être un moteur de développent au service de la population. Parmi les facteurs, on peut aussi citer l'importance stratégique de l'Afrique, qui a toujours attiré les puissances étrangères. Avec le partage de l'Afrique à Berlin en 1884, les puissances européennes ont créé des sphères d'influence qui continuent de peser sur beaucoup de pays africains. Ces intérêts stratégiques n'ont cessé d'avoir des répercussions sur la politique et d'alimenter l'instabilité sur le continent. Dans mes travaux récents, j'ai soutenu que l'influence étrangère et l'importance stratégique rendent les coups d'État plus probables dans les pays africains, notamment au Nigeria. Tout comme les coups d'État de l'ère post-indépendance, certains coups d'État récents en Afrique de l'Ouest portent l'empreinte de puissances étrangères. Par exemple, la Russie est impliquée dans les coups d'État de 2020 et 2021 au Mali, ainsi que dans celui du Burkina Faso. Le Royaume-Uni, les États-Unis, la Chine et la France ont tous des intérêts en Afrique. Depuis l'expulsion de la France du Burkina Faso, du Mali et du Niger, l'ancienne puissance coloniale cherche un autre refuge régional au Nigéria. Ce qui suscite des suspicions dans certains milieux.De plus, l'héritage colonial a laissé une fracture entre les populations et les armées. Sous la colonisation, l’armée était perçue comme un instrument de protection des intérêts des élites dirigeante. En effet, le recrutement avait marginalisé les anciens guerriers et a en avait promu de nouveaux. L'armée était aussi perçue par les civils comme protégeant les intérêts de l'élite dirigeante coloniale. Dans la période postcoloniale, cette perception a perduré, l'armée étant désormais vue comme protégeant les intérêts de l'élite dirigeante africaine. Mais à force d'être exposées au jeux politiques, les armées finissent parfois par s'emparer du pouvoir, avec l'aval de la population lassée de l'élite politique perçue comme ne servant que ses propres intérêts. Les coups d'État militaires au Soudan et au Mali en sont une illustration. Ces facteurs sont-ils réunis au Nigeria aujourd'hui ?Les conditions sociopolitiques et économiques qui ont conduit à des coups d'État dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest sont présentes au Nigeria. Le Nigéria est encore profondément divisé par des clivages éthniques et religieux. L'insécurité est très élevée dans tout le pays. La suppression des subventions sur le carburant a exacerbé les difficultés économiques. Les prix des matières premières sont montés en flèche. L'inflation alimentaire a atteint 40,75 % en 2024, son plus haut niveau en 25 ans. L'héritage colonial du Nigeria est encore visible à travers le clivage entre le nord et le sud qui gangrène la politique du pays. Les dirigeants opportunistes exploitent cette division à leur avantage en jouant sur la rhétorique de la marginalisation.Le Nigeria est toujours fortement dépendant des puissances occidentales. Cela explique pourquoi les prétendants à la présidence du Nigeria préfèrent se rendre à Chatham House, à Londres, pour s'exprimer plutôt que de s'adresser directement aux citoyens qu'ils aspirent à diriger. Les relations du président nigérian, Bola Tinubu, avec la France suscitent des interrogations dans le pays. Le président a récemment signé de nouveaux accords avec la France dans les domaines des énergies renouvelables, des transports, de l'agriculture et des infrastructures essentielles. Ces accords suscitent des inquiétudes d'autant plus qu'ils interviennent peu de temps après que presque tous les anciens alliés français en Afrique de l'Ouest ont rompu leurs liens avec la France.Autant de facteurs qui nourrissent un climat de mécontentement pouvant favoriser un putsch comme cela s'est produit au Niger, en Guinée et au Gabon. Read more: Ce que la France perd en fermant ses bases militaires en Afrique Comment empêcher un retour de l'armée au Nigeria ?Une gouvernance efficace est indispensable pour minimiser les héritages coloniaux, renforcer la démocratie et atténuer les influences étrangères. Cela favoriserait la confiance entre les différentes communautés éthniques grâce à la mise en œuvre de politiques inclusives axées sur le développement du pays. Par ailleurs, il est essentiel de professionnaliser l’armée, pour lui donner une orientation claire et la spécialiser davantage. L'armée devrait être moins impliquée dans la sphère politique. En temps de paix, l'armée peut également être mobilisée en tant que prestataire de services dans les domaines de l'agriculture, de la santé et du travail social, comme c'est le cas, par exemple, aux États-Unis. Les organisations régionales telles que la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest et l’Union africaine devraient jouer un rôle proactif en condamnant toute dérive des acteurs politiques aux antipodes des pratiques et valeurs démocratiques. Elles ne devraient pas se contenter de réagir en imposant des sanctions après un coup d'État militaire. Le Nigeria gagnerait à développer un modèle démocratique adapté à ses réalités locales comme le préconisait le défunt politologue nigerian Claude Ake. Le processus et le mode de démocratisation devraient être accessibles à tous. Les dirigeants démocrates doivent être soumis à un contrôle rigoureux, notamment en ce qui concerne leur patrimoine avant et après leur passage au pouvoir. Les institutions démocratiques doivent être renforcées pour empêcher les individus corrompus d'accéder aux responsabilités. Pour relever leurs défis, les dirigeants démocrates du Nigeria et d'autres pays africains doivent privilégier des solutions endogènes.Abdul-Wasi Babatunde Moshood reçoit des fonds de TETFUND Institution Based Research IBR, il est membre du Syndicat du personnel académique de l'université, du Réseau pour la démocratie et le développement NDD, entre autres. Il est actuellement chef par intérim du département de sciences politiques de l'université d'État de Lagos.