Le capitaine Ibrahim Traoré est l'actuel dirigeant de la transition du Burkina Faso. Il a pris le pouvoir après avoir renversé par un coup d'État le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba en septembre 2022. Le capitaine, âgé de 37 ans, avait soutenu Damiba, son commandant, lors d’un putsch contre l’ex-président Roch Marc Christian Kaboré.Depuis que Traoré est au pouvoir, le Burkina Faso a joué un rôle clé dans le retrait de trois États d'Afrique de l'Ouest de l'organisme régional, la Cedeao. Le Burkina Faso, le Niger et le Mali ont créé une organisation alternative, l'Alliance des États du Sahel. The Conversation Africa s'est entretenu avec le chercheur Daniel Eizenga pour analyser la direction que prend le pays sous la gouvernance de Traoré.Qui est Ibrahim Traoré ?Traoré est né en 1988 à Bondokuy, une petite ville située sur la route reliant la deuxième ville du Burkina Faso, Bobo Dioulasso, à la quatrième, Ouahigouya. Il a terminé ses études secondaires à Bobo Dioulasso, puis s'est installé dans la capitale du pays, où il a étudié à l'université de Ouagadougou. Après avoir terminé ses études de premier cycle, Traoré s'est engagé dans l'armée en 2010 à l'âge de 22 ans. Il a suivi sa formation d'officier à Pô, à l'Académie militaire Georges Namoano, une école d'officiers des forces armées burkinabè. Il a obtenu son diplôme de sous-lieutenant en 2012 et a servi comme soldat de la paix dans la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) après avoir été promu lieutenant en 2014. Après son passage à la Minusma, Traoré a participé à des missions dans le nord du Burkina Faso au sein d'une unité spéciale de lutte contre le terrorisme. Il a été promu capitaine en 2020 à l'âge de 32 ans. Damiba a mené un coup d'État contre Kaboré en janvier 2022. Il a ensuite nommé Traoré chef d'un régiment d'artillerie dans la région Centre-Nord du Burkina Faso. Alors qu'il devenait manifeste que Damiba perdait en popularité au sein de la junte, Traoré et un groupe d'officiers subalternes ont organisé un coup d'État. Ils ont profité d'une indignation générale suscitée par une embuscade qui a coûté la vie à 11 soldats et plusieurs dizaines de civils. Comment réagit-on à son régime au Burkina Faso ?Selon certains médias, le jeune capitaine et sa junte bénéficieraient d'un large soutien populaire dans tout le pays. Certains ont même établi des comparaisons entre Traoré et le précédent chef militaire révolutionnaire de gauche du Burkina Faso, le capitaine Thomas Sankara. Il est vrai que les deux capitaines ont pris le pouvoir à l'âge de 34 ans. Mais les comparaisons s'arrêtent à leur grade et à leur âge. Sankara est arrivé au pouvoir dans les années 1980, dans un contexte de fin de la guerre froide et de divisions idéologiques au sein de l'armée. Les officiers favorables à Sankara ont mené un coup d'État en 1983. Considéré comme un révolutionnaire marxiste, Sankara a tenté de mettre en œuvre des réformes politiques : participation politique accrue, autonomisation des femmes, lutte contre la déforestation et réduction des inégalités.Traoré, lui, gouverne dans une situation beaucoup plus précaire. Son coup d’État, comme celui de Damiba, a révélé une armée fragmentée : la plupart des officiers militaires n'ont participé ni à son coup d'État ni à celui mené par Damiba. De l'aveu du régime en place, la junte a fait face à de multiples tentatives de déstabilisation. Cela met en évidence les moyens arbitraires par lesquels le pouvoir a changé de mains et l'instabilité inhérente au régime de la junte.Pour consolider sa position, Traoré a lancé une campagne de restructuration. Celle-ci a notamment consisté à réaffecter les recettes fiscales, minières et autres sources de revenus publics aux caisses de la défense. Il a également mobilisé des volontaires pour combattre les extrémistes violents dans le cadre des Volontaires pour la défense de la patrie, une milice civile parrainée par la junte. Des rapports font état de conscription forcée pour envoyer des « volontaires » sur les lignes de front. Les données sur le conflit indiquent que cette stratégie ne fonctionne pas.Traoré n'est peut-être pas aussi populaire auprès des gens ordinaires comme on le prétend souvent. C'est ce que l'on peut déduire de la répression violente des critiques, des multiples tentatives présumées de coup d'État ainsi que de la violence et de la crise humanitaire persistantes. Il a sévèrement sévi contre les voix indépendantes. Journalistes, dirigeants de la société civile, chefs de partis politiques et même juges ont été pris pour cible par la junte avec ses tactiques de conscription forcée et d'autres formes de répression violente.Qu'en est-il des acteurs extérieurs ?Le coup d'État de septembre 2022 a suscité l'intérêt de la Russie, à travers des campagnes de désinformation et d'ingérence étrangères menées par les groupes liés à la nébuleuse organisation Wagner. D'autres campagnes d'information russes ont utilisé de faux comptes de réseaux sociaux qui se font passer pour des Africains ayant un réel intérêt pour le Burkina Faso. Sur les réseaux sociaux, de faux comptes africains promeuvent un discours hostile à la France et aux pays occidentaux et leur font porter la responsabilité de l'insécurité persistante. Jouant sur ce sentiment anti-français pour renforcer son assise populaire, Traoré a rapidement exigé le départ des troupes françaises du Burkina Faso. Il a accusé les Français d'être responsables de l'essentiel des malheurs du pays et a présenté Damiba comme un proche allié de la France. En quelques mois, Traoré a exigé que la France retire complètement sa présence sécuritaire du Burkina Faso. Depuis, des mercenaires russes ont été aperçus assurant la protection de Traoré et aux côtés du régime appuyant ses opérations à la frontière avec le Mali. Mais leur présence, estimée entre 100 et 300 hommes, semble avant tout destinée à sécuriser Traoré et son régime. Que nous réserve l'avenir ?Les actions de Traoré n'ont pas amélioré la situation sécuritaire dans le pays. Il y a eu au moins 3 059 événements violents liés à des groupes islamistes militants depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2022. Il s'agit d'une augmentation de 20 % par rapport aux deux années précédant le coup d'État. Le nombre de décès liés à la violence islamiste militante a presque doublé, passant de 3 621 en 2022 à 6 389 en 2024. La violence s'est également étendue à l'ensemble du pays, touchant presque toutes les régions, et s'est intensifiée le long de la frontière sud du Burkina Faso. Il est probable que les données soient sous-estimées. La junte affirme avoir déjoué plusieurs tentatives de coup d’État depuis l’accession au pouvoir de Traoré. L’une d’entre elles aurait été mise en échec en septembre 2024, quelques semaines après l'attaque la plus meurtrière de l’histoire du pays, lorsque des extrémistes ont tué des centaines de civils près de Barsalogho. Des extrémistes violents ont tué des Le nombre de victimes civiles liées aux groupes islamistes militants est passé de 721 en 2022 à 1 151 en 2024. Plus préoccupant encore, les violences impliquant l’armée ou des milices qu’elle soutient ont également fait de nombreuses victimes civiles.La violence au Burkina Faso dessine un tableau alarmant où l'effondrement du pays ne peut être exclu. L'armée s'est à nouveau imposée comme l'acteur politique dominant. D'après certaines estimations, l'armée aurait directement ou indirectement exercé le pouvoir pendant 45 des 65 années écoulées depuis l'indépendance du Burkina Faso.Pendant ce temps, l'insurrection islamiste radicale continue de s'étendre de plus en plus dans les campagnes, avec un coût humain élevé. On estime le nombre de personnes déplacées par la violence à 3 millions, bien que la junte refuse de fournir un chiffre officiel. Cela représente plus de 10 % de la population d'environ 24 millions de personnes. Un autre million d'étudiants, voire plus, pourraient ne pas être scolarisés en raison du conflit et de l'insécurité persistante. Malgré les tentatives pour présenter Traoré comme un réformateur audacieux et un sauveur, les ramifications politiques, sécuritaires et économiques de son régime de junte se feront sentir au Burkina Faso pendant des décennies.Daniel Eizenga a précédemment reçu un financement de l'Université de Floride dans le cadre d'une bourse de recherche de l'Initiative Minerva pour mener des recherches au Burkina Faso en vue de son doctorat. Le Dr Eizenga est actuellement chercheur au Centre d'études stratégiques de l'Afrique.