Lorsque l'on pense aux sépultures anciennes en Afrique du Nord, ce sont souvent les pyramides et les monuments égyptiens qui viennent à l'esprit. Mais de récentes découvertes montrent que l'Afrique du Nord-Ouest a elle aussi un passé préhistorique riche et fascinant.La péninsule de Tanger, au Maroc, est particulièrement intéressante. Elle est située à l'extrémité nord-ouest de l'Afrique, là où la mer Méditerranée rencontre l'océan Atlantique. À seulement 14 kilomètres de l'Europe, de l'autre côté du détroit de Gibraltar, cette région est depuis longtemps un carrefour naturel entre les continents et les cultures.Je suis archéologue et doctorant spécialisé dans les dernières périodes préhistoriques de l'Afrique du Nord, entre 3800 et 500 avant J.-C. Mes recherches portent sur la manière dont les communautés anciennes réagissaient aux changements environnementaux, et comment elles se sont déplacées et ont établi des liens avec d'autres communautés à travers les régions. Jusqu'à présent, on supposait que la péninsule de Tanger était inhabitée et isolée à la fin de la préhistoire. Dans le cadre de ma thèse, j'ai voulu vérifier si cela était vrai ou si cette région avait simplement été négligée par les fouilles archéologiques précédentes.Grâce aux projets archéologiques Kach Kouch et Tahadart, nous avons étudié les zones atlantique et méditerranéenne de la péninsule.Notre objectif était de revisiter la région à l'aide de méthodes et de technologies archéologiques modernes, notamment la datation au radiocarbone. Afin de comprendre comment cette région pouvait être reliée au reste du monde à l'époque préhistorique, nous avons utilisé un logiciel de système d'information géographique pour modéliser les anciennes voies de communication possibles et avons étudié le paysage à l'aide d'images satellites et de drones. Ensuite, avec une équipe de jeunes archéologues marocains de l’Institut national des sciences de l'archéologie et du patrimoine (INSAP), nous avons mené des relevés de terrain et des fouilles.Nos découvertes ont dépassé toutes nos attentes. Loin d'être vide et isolée, la péninsule de Tanger regorge de traces attestant que des populations y ont vécu, enterré leurs morts et y ont organisé des rituels pendant des milliers d'années.Nos découvertes pourraient changer notre regard sur l’Afrique du Nord-Ouest qui a été un carrefour culturel reliant des régions diverses pendant des milliers d'années. Cette région pourrait redéfinir notre compréhension de la préhistoire tardive dans les mondes atlantique et méditerranéen.Un paysage rituel et funéraire préhistoriqueNotre étude, publiée dans African Archaeological Review, présente la découverte de dizaines de nouveaux sites archéologiques, notamment des sépultures préhistoriques, des sites d'art rupestre et des menhirs. Jusqu'à présent, les recherches sur l'art rupestre et les sépultures en Afrique du Nord se concentraient sur des régions telles que la vallée du Nil, le Sahara ou les montagnes de l'Atlas. Nos découvertes révèlent que la côte nord-ouest du Maroc était un centre culturel majeur à l'âge du bronze, il y a plus de 4 000 ans.La diversité des pratiques funéraires, des sites rituels, de l'art rupestre symbolique et des monuments mégalithiques uniques témoigne d'un riche patrimoine préhistorique qui dépassent les frontières géographiques, politiques et culturelles modernes. Elle prouve également que cette région a longtemps été en contact avec la Méditerranée, l’Atlantique et le Sahara.L'un des sites les plus remarquables que nous avons fouillés se trouve à Daroua Zaydan, près de l'actuelle ville Tanger. Nous y avons découvert une sépulture appelée ciste : une petite chambre funéraire faite de quatre dalles de pierre dressées, recouverte par une dalle plus large. Un arrangement de pierres en forme de croissant marquait probablement l'accès à la chambre funéraire.Bien que la tombe ait été pillée dans le passé, nous avons récupéré plusieurs ossements humains à l'extérieur de la ciste. L'un d'entre eux a été daté au radiocarbone entre 2118 et 1890 avant J.-C. Cette date correspond à des traditions funéraires similaires de l'autre côté du détroit de Gibraltar, en Ibérie, ainsi qu'à des activités de peuplement du début de l'âge du bronze à Kach Kouch, à environ 65 km au sud-est de Daroua Zaydan.Des cimetières à cistes avaient déjà été documentés dans la région, mais la plupart avaient été fouillés au début et au milieu du XXe siècle. À l’époque, les méthodes scientifiques ne permettaient pas d’en savoir plus sur leur construction ou leur datation. Daroua Zaydan est la première sépulture à ciste datée au radiocarbone en Afrique du Nord-Ouest.Monuments, dépôts rituels et connexions atlantiquesNos découvertes suggèrent l'existence d'un paysage rituel préhistorique complexe dans la péninsule de Tanger. Ce paysage était probablement relié à d'autres régions de l'Atlantique et de la Méditerranée par un « langage » rituel et symbolique commun.Un indice important vient d’une épée de l’âge du bronze retrouvée dans les années 1920 au fond du fleuve Loukkos. Elle aurait été probablement fabriquée en Grande-Bretagne ou en Irlande, et aurait atteint le Maroc grâce aux échanges le long des fleuves d'Europe atlantique. Elle a sans doute été jetée volontairement dans le fleuve, un geste rituel bien documenté dans l’Europe atlantique de la préhistoire. Cela montre que les communautés du nord du Maroc faisaient partie d’un monde culturel et symbolique partagé avec le reste de l’Atlantique.Un autre exemple est le cercle de pierres de Mzoura, composé de 176 menhirs. Ce site, fouillé dans les années 1930, est unique en Afrique du Nord. Mais il ressemble beaucoup à d'autres cercles de pierres en Europe atlantique, comme Stonehenge. Au cours de nos travaux sur le terrain, nous avons également découvert de nouveaux menhirs et des peintures rupestres, situés le long d'anciennes voies de communication. Cela suggère qu'ils auraient pu servir de repères territoriaux ou de sites rituels.Avant nos recherches, un seul abri sous roche peint, celui de Magara Sanar, était connu dans le nord-ouest du Maroc. Nous avons désormais répertorié 17 abris sous roche peints et 5 gravés. La variété des symboles et des scènes comprend des motifs pointillés, des lignes géométriques et des figures humaines. Ils suggèrent des liens étroits avec l'art préhistorique ibérique, atlantique et saharien. Pourquoi est-ce important ?Nos recherches ne se contentent pas de combler une lacune sur la carte archéologique. Elles ouvrent de nouvelles perspectives pour l'exploration archéologique dans la région. La péninsule de Tanger abrite un patrimoine préhistorique tardif riche et largement méconnu. Elle mérite davantage d'attention de la part des chercheurs, des décideurs politiques et du grand public.Des mesures de protection supplémentaires sont nécessaires, car la région connaît un développement urbain rapide. Le tourisme est en pleine expansion et les pillages sont nombreux. Nous espérons que nos travaux déboucheront sur de nouvelles fouilles archéologiques, notamment sur des sites clés, et sur la datation au radiocarbone.Hamza Benattia, directeur du projet archéologique Tahadart, a reçu des subventions de l'Institut national de l'archéologie et du patrimoine du Maroc (INSAP), du Fonds de recherche de la Prehistoric Society, de la bourse Stevan B. Dana de l'American Society of Overseas Research, de la bourse du Mediterranean Archaeological Trust, du prix Barakat Trust Early Career Award, de la bourse de recherche du Centre Jacques Berque, du Fonds de recherche de l'Institut des études de Ceuta et de l'Université de Castille-La Manche.