Destruction des statues de la reine égyptienne Hatchepsout : une nouvelle étude conteste la vengeance

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Après la mort de la reine pharaon égyptienne Hatchepsout vers 1458 avant notre ère, de nombreuses statues à son effigie ont été détruites. Initialement, les archéologues pensaient que son successeur, Thoutmosis III, avait agi par vengeance. Cependant, l'état des statues retrouvées à proximité de son temple funéraire varie et beaucoup ont survécu avec leur visage pratiquement intact.Une nouvelle étude, menée par l’archéologue Jun Yi Wong, propose une autre explication. En se basant sur les fouilles anciennes, il suggère que les statues n’ont pas été détruites par haine. Il pense plutôt qu’elles ont été « désactivées » lors d’un rituel, puis recyclées comme matière première. Nous lui avons demandé de nous en dire plus.Qui était la reine Hatchepsout et pourquoi était-elle importante ?Hatchepsout a régné en tant que pharaon d'Égypte il y a environ 3 500 ans. Son règne fut exceptionnellement prospère : elle fut une bâtisseuse prolifique de monuments et son règne fut marqué par de grandes innovations dans les domaines de l'art et de l'architecture. C'est pourquoi certains la considèrent comme l'un des plus grands souverains de l'Égypte antique, hommes et femmes confonfus. Elle a également été décrite comme la « première grande femme de l'histoire ».Hatchepsout était l'épouse et la demi-sœur du pharaon Thoutmôsis II. Après la mort prématurée de son mari, elle devient régente au nom de son beau-fils, le jeune Thoutmosis III. Cependant, environ sept ans plus tard, Hatchepsout accéde au trône et se proclame souveraine d'Égypte.Pourquoi a-t-on cru que ses statues avaient été détruites par vengeance ?Après sa mort, le nom et les représentations d'Hatchepsout, notamment ses statues, ont été systématiquement effacés de ses monuments. Cet événement, souvent appelé la « proscription » d'Hatchepsout, fait actuellement partie de mes recherches plus vastes.Il ne fait guère de doute que cette destruction a commencé sous le règne de Thoutmôsis III. En effet, certaines représentations d’Hatchepsout, effacées puis dissimulées, ont été retrouvées derrière les nouvelles constructions qu’il avait fait érigerLes statues sur lesquelles porte ma récente étude ont été découvertes dans les années 1920. À cette époque, la proscription d’Hatchepsout par Thoutmôsis III était déjà bien connue. Les archéologues ont donc tout de suite – et à juste raison – pensé que les statues avaient été détruites sous son règne. Certaines d’entre elles ont même été retrouvées sous une chaussée construite par Thoutmôsis III, ce qui confirme cette hypothèse.Comme les statues ont été retrouvées en fragments, les premiers archéologues ont supposé qu'elles avaient dû être brisées violemment, peut-être en raison de l'animosité de Thoutmosis III envers Hatchepsout. Par exemple, Herbert Winlock, l'archéologue qui a dirigé les fouilles de 1922 à 1928, a remarqué que Thoutmosis III avait dû « décréter la destruction de tous les portraits (d'Hatchepsout) existants » et quetoutes les indignités imaginables avaient été infligées à l'effigie de la reine déchue.Le problème avec cette interprétation est que certaines statues d'Hatchepsout ont survécu dans un état relativement bon, avec leurs visages pratiquement intacts. Pourquoi y a-t-il eu une telle variation dans le traitement des statues ? C’est cette question qui a guidé l’essentiel de mes recherches.Comment avez-vous cherché à résoudre cette énigme ?Il était évident que les dommages causés aux statues d'Hatchepsout n'étaient pas uniquement le fait de Thoutmôsis III. Beaucoup d'entre elles avaient été laissées à l'air libre et n'avaient pas été enterrées, et beaucoup avaient été réutilisées comme matériaux de construction. En effet, non loin de l'endroit où les statues ont été découvertes, les archéologues ont trouvé une maison en pierre partiellement construite à partir de fragments de ses statues.La question est bien sûr de savoir dans quelle mesure ces réutilisations ont contribué à endommager les statues. Heureusement, les archéologues qui ont fouillé les statues ont laissé des notes de terrain assez détaillées. Grâce à ces archives, il est possible de reconstituer les emplacements où bon nombre de ces statues ont été trouvées.Les résultats sont surprenants. Les statues les plus abîmées, souvent dispersées sur de grandes surfaces ou incomplètes, présentent des visages fortement endommagés. En revanche, les statues trouvées dans un état relativement complet ont généralement le visage intact. En d'autres termes, les statues qui ont été largement réutilisées sont beaucoup plus susceptibles d'avoir subi des dommages au niveau du visage.Il est donc probable que Thoutmôsis III ne soit pas responsable des dommages subis par les visages des statues. Les dégâts qu’on peut lui attribuer semblent plus spécifiques : il aurait fait briser les statues au niveau du cou, de la taille et des genoux.Ce type de traitement n'est pas propre aux statues d'Hatchepsout.C'est fascinant. Mais alors, qu'est-ce que cela signifie ?La pratique consistant à briser les statues royales au niveau du cou, de la taille et des genoux est courante dans l'Égypte ancienne. Elle est souvent appelée « désactivation » des statues. Pour les anciens Égyptiens, les statues étaient plus que de simples images. Par exemple, les statues nouvellement créées étaient soumises à un rituel appelé « ouverture de la bouche », où elles étaient rituellement ramenées à la vie. Les statues étant considérées comme des objets vivants et puissants, leur pouvoir inhérent devait être neutralisé avant qu'elles puissent être jetées. Read more: Cléopâtre, cheffe d’État calomniée par le sexisme En effet, l'une des découvertes les plus extraordinaires de l'archéologie égyptienne est la Cachette de Karnak, où des centaines de statues royales ont été trouvées enterrées dans un seul dépôt. La plupart de ces statues ont été « désactivées », alors même qu’elles représentent des pharaons qui n’avaient subi aucune hostilité après leur mort.Cela indique que la destruction des statues d'Hatchepsout était principalement motivée par des raisons rituelles et pragmatiques, plutôt que par la vengeance ou l'animosité. Cela change bien sûr la façon dont on comprend la relation entre Hatchepsout et Thoutmôsis III.Jun Yi Wong bénéficie d'un financement de la Fondation Andrew W. Mellon.