Sous-espèce rare et gravement menacée, le guépard du Nord-Ouest africain (Acinonyx jubatus hecki) joue un rôle essentiel dans les écosystèmes sahéliens et désertiques. Prédateur au sommet de la chaîne alimentaire, il contribue à maintenir l’équilibre naturel entre végétation et proies. Sa présence est aussi un indicateur clé de la santé de son habitat : un écosystème capable de soutenir un grand prédateur est un écosystème vivant et résilient. Protéger le guépard du Nord-Ouest africain, c’est préserver toute une chaîne de vie fragile mais vitale.Les guépards (Acinonyx jubatus), comme de nombreux grands carnivores africains, ont vu leur répartition se réduire drastiquement. Aujourd’hui, ils ne subsistent plus que dans 9 % de leur aire de distribution historique. Entre Sahara et Sahel, une sous-espèce extrêmement rare survit à faible densité : le guépard du Nord-Ouest africain, également connu sous le nom de guépard du Sahara. En tant que chercheures spécialisées dans le suivi écologique des populations de carnivores, nous avons récemment publié la première étude à long terme avec des données récoltées entre 2017 et 2021, de cette espèce insaisissable. Nous avons ainsi pu estimer la densité de population des guépards du Nord-Ouest sur une zone de 4 839 km² dans la partie béninoise du Complexe W-Arly-Pendjari, également appelé « Complexe WAP ». Un félin au bord de l'extinctionInscrits en danger critique d’extinction sur la Liste rouge de l’UICN, les guépards d’Afrique de l’Ouest sont au bord de la disparition. On estime qu'environ 260 individus matures subsisteraient encore. Ils sont répartis entre le Complexe WAP (W-Arly-Pendjari — Bénin, Burkina Faso, Niger), le sud algérien et le Grand Écosystème Fonctionnel de Zakouma au Tchad.Toutefois, ces chiffres restent approximatifs, car le suivi de ces populations demeure contraint par leur faible effectif. Celui-ci est principalement basé sur des estimations de densité, combinés aux informations fournies par des experts des aires de résidence des guépards. Par exemple, en Algérie, un suivi par pièges photographiques sur une zone de 2 400 km2 a estimé une densité de 0,25 guépard adulte pour 1 000 km2. Cette densité a été utilisée dans l'ensemble de l'aire de répartition de l'espèce au Sahara pour évaluer la taille totale de la population. Les résultats de notre étude sont frappants : la densité des guépards y est extrêmement faible, avec seulement 2,6 individus pour 1000 km². Cependant, au sein du Parc national de la Pendjari, où la protection est plus rigoureuse, cette densité s’élève à 5,1 individus pour 1000 km², suggérant que ce parc constitue un réservoir vital pour l’ensemble des aires protégées du WAP.Le suivi d’un félin aussi rare dans une région où la sécurité représente un défi majeur exigeait une approche adaptée. Nous avons mis en place un protocole de piégeage photographique innovant, ciblant spécifiquement les points d’observation privilégiés par les guépards pour surveiller leur environnement et repérer leurs proies comme des termitières, des troncs d'arbres couchés ou des tas de gravats. En complément, des caméras ont également été placées de manière plus classique le long des pistes et sentiers empruntés par la faune. Cette méthode a permis de collecter des données précieuses et inédites tout en minimisant les risques pour les équipes de terrain. Les caméras automatiques fonctionnent en effet 24h/24, 7j/7 sans avoir besoin de la présence humaine, ce qui limite l'exposition des équipes aux risques, la zone étant sujette à des actes d’extrémisme violents. Par ailleurs, l'utilisation de ces petits appareils automatiques relativement bon marché et non-invasifs par rapport à des suivis qui nécessiteraient des moyens plus importants, comme par exemple la capture, l'anesthésie et la pose de colliers GPS sur des guépards.Malgré ce suivi spécifique, nos résultats suggèrent un nombre de guépards très faible. Cela appelle une réponse urgente et coordonnée pour sécuriser cette population en danger critique. Les guépards sont en effet impactés par la perte et la fragmentation de leur habitat car ils ont besoin d'immenses territoires pour survivre. Le commerce illégal de produits comme leurs peaux, utilisées dans diverses cérémonies à travers l'Afrique, la diminution de leurs proies due au braconnage et aux troupeaux domestiques qui entrent souvent dans les aires protégées et détruisent l'habitat par sur-pâturage sont d'autres menaces importantes. Aujourd'hui, le guépard du Nord-Ouest est particulièrement menacé par l'insécurité dans son aire de distribution sahélo-saharienne. Le commerce illégal de sa peau est un réel risque pour sa survie. Le guépard étant un grand carnivore se nourrissant d’ongulés de taille moyenne, il participe à la régulation de ces populations avec les autres carnivores partageant son écosystème. La perte de ce prédateur induirait celle d'un régulateur écologique clé, mais aussi d'un symbole culturel majeur pour l'Afrique sahélo-saharienne. Chaque grand prédateur apporte également des connaissances uniques sur l'évolution, l'adaptation et l'écologie des êtres vivants. La disparition de cette sous-espèce serait une perte irréversible pour la science. Un autre impact, plutôt économique cette fois, concerne le tourisme. Même si le tourisme sahélien est limité aujourd’hui, la disparition du guépard supprime toute perspective future de valorisation durable de cette faune emblématique. Enfin, l’extinction locale du guépard serait un signal fort du déclin de la biodiversité dans les zones arides, rappelant que les crises écologiques touchent aussi ces milieux qui attirent pourtant moins l'attention que les forêts tropicales.Quels leviers pour sauver le guépard saharien ?Face aux menaces alarmantes qui pèsent sur le guépard saharien, il devient urgent d'agir pour éviter sa disparition complète. Préserver cette sous-espèce nécessite une approche coordonnée durable et adaptée aux réalités du terrain. C'est dans cette perspective que plusieurs pistes d'actions peuvent être envisagées.Tout d’abord, poursuivre le suivi régulier au Bénin tous les deux ans, en s’appuyant sur la méthode développée dans cette étude. Ce suivi doit être pérennisé et, si possible, élargi à d’autres zones, afin de mesurer l’impact des actions de conservation et de réagir rapidement à l’apparition de nouvelles menaces. Dans un second temps, il s’agit d’appliquer cette méthode aux quatre dernières populations de guépards du Nord-Ouest africain, pour développer des programmes de suivi robustes à l’échelle régionale. Il faut également initier de nouveaux suivis, afin d’améliorer les connaissances sur les guépards dans les régions où leur présence et leur statut restent incertains ou insuffisamment connus, comme en Algérie. Mettre en œuvre une réponse coordonnée à l’échelle internationale, incluant un engagement fort des bailleurs de fonds est également crucial. L'insécurité et l'instabilité politique jouent un rôle catalyseur dans la diminution des populations de guépards.La sauvegarde du guépard doit être intégrée à des stratégies plus larges de restauration écologique et de consolidation de la paix, notamment dans les régions fragiles et touchées par les conflits. Enfin, soutenir les communautés locales vivant dans l’aire de répartition du guépard, pour qu’elles soient actrices de sa conservation et bénéficient directement des efforts déployés est un enjeu fort.Le sort du guépard du Nord-Ouest africain dépendra de notre capacité collective à allier science, technologie, financements locaux et internationaux, et inclusion des populations locales dans une stratégie commune et durable.Marine Drouilly works for Panthera. The study was funded by the Howard G. Buffett Foundation through the Africa Range Wide Society of London, supported by ZSL, Panthera, a Swiss foundation through the IUCN SSC Cat Specialist Group, and African Parks/Pendjari National Park.